Je pratique la Gestalt-thérapie ; une approche qui a ses spécificités, sa philosophie d’action et ses valeurs. Cet article n’a pas vocation à retracer l’historique de ce courant, mais d’exprimer la vision que j’en ai et la manière dont je l’applique au quotidien, d’opérer un pas de côté pour mettre en lumière ce qui m’apparaît essentiel dans cette psychothérapie.
Souvent, quand mes patients passent pour la première fois la porte de mon cabinet, ils ne connaissent pas la Gestalt-thérapie. Certains en ont vaguement entendu parler, d’autres pas du tout.
Quand ils m’interrogent sur la Gestalt, je prends quelques minutes pour leur répondre. Je leur explique notamment que cette pratique fait partie d’un mouvement autour des thérapies relationnelles et humanistes, et qu’il s’agit donc d’une thérapie qui s’appuie principalement sur la relation patient-thérapeute, ici et maintenant.
Dans cet article, j’ai envie d’aller plus loin que cette présentation rapide et de mettre des mots sur mon ressenti et mon expérience de la pratique de la Gestalt-thérapie.
L’espace relationnel de la “troisième histoire”
Lorsque j’évoque ma pratique de gestalt-thérapeute ou ce qu’est la Gestalt, le premier terme qui résonne est celui de la relation. Cette relation « patient-thérapeute » sur laquelle s’appuie continuellement le thérapeute, ce que Jean-Marie Delacroix appelle la « troisième histoire ».
Parler de « troisième histoire », c’est induire qu’il y en a deux autres. La première est l’histoire du patient, celle avec laquelle il arrive, celle qu’il pose ou pas, exprime ou pas, mais qui est là dans ce qu’il est et sa présence dans le champ. La deuxième est celle du thérapeute, qui n’est pas explicité clairement mais qui agit comme une caisse de résonance de l’histoire du patient. C’est ce que les psychanalystes appellent le processus « transfert / contre-transfert ».
La spécificité de la Gestalt-thérapie est, selon moi, de regarder et s’appuyer à la fois sur ces deux premières histoires comme une psychanalyse ou psychothérapie « traditionnelle » et d’accepter d’ouvrir un autre champ sur la troisième. Cela entraîne la co-création d’un nouvel espace relationnel entre le patient et le thérapeute, véritable champ d’exploration qui permet de tracer ensemble un chemin commun au service du mieux-être du patient.
Pour tracer ce chemin commun, je m’appuie tout d’abord sur ce qui est là “ici et maintenant”. Ce qui se dit, se ressent, se vit, en aidant le patient à en prendre conscience, à (res)sentir, à mettre des mots sur cela. Dans ce premier temps, la démarche n’est donc pas analytique et il y a souvent peu de mots pour expliquer, mais des mots pour nommer ce qui est là chez le patient mais également dans la relation patient - thérapeute.
Ceci ne signifie pas que le Gestalt-thérapeute ne s’appuie pas sur un savoir ou une analyse, mais qu’il développe souvent dans un premier temps un savoir-faire qui peut l’amener à « ne plus savoir » et faire avec ce qui est là au moment présent dans le champ de la relation thérapeutique.
De l’awareness à la consciousness
La psychanalyse est souvent rattachée au paradigme de l’inconscient. Avec la Gestalt-thérapie, nous passons à une démarche de continuum de la conscience, de l’awareness à la consciousness.
Le Gestalt-thérapeute va d’abord s’attacher à activer l’awareness, ou conscience immédiate. L’enjeu est d’aider le patient à sentir ce qui est là, ici et maintenant, dans son corps, à travers les émotions ou sensations qu’il ressent ou pas, à la fois en lui mais aussi dans l’interaction avec le thérapeute.
L’étape suivante est de travailler sur la consciousness, la pleine conscience ou présence : arriver à mettre en mots, à analyser ce qui se passe ou s’est passé. Le gestalt-thérapeute va ensuite (r)amener le patient à l’étape de l’awareness et y rester un peu pour (res)sentir.
Les formes d’accompagnement de cette phase peuvent être verbales ou non verbales, corporelles, méditatives. Mais c’est une étape fondamentale de l’approche gestaltiste, thérapie relationnelle de l’« ici et maintenant ».
Le thérapeute porte alors une attention particulière à la « frontière contact », ce point de reliance entre l’organisme et l’environnement. Une zone subtile, pas seulement physique, et surtout sensorielle. Le thérapeute s’appuie souvent sur l’expérience à la frontière contact, car beaucoup de phénomènes émergent dans ce champ.
Le champ « organisme-environnement »
En Gestalt-thérapie, le principe d'indissociabilité du champ organisme/environnement est fondateur : « À tout moment, tout homme fait partie d'un champ, et son comportement est toujours la résultante d'un champ global incluant lui-même et ce qui l'entoure ».
La séance de psychothérapie ne s’arrête pas à l’échange, l’écoute, l’expression entre un patient et son thérapeute dans un bureau ou une salle fermée. Elle provoque une interaction entre plusieurs mondes : celui du patient et celui du thérapeute bien sûr, mais également une interaction de niveau secondaire, voire tertiaire, avec tous les mouvements et changements que ce travail peut provoquer au regard d’autres inter-relations. Et cela, nous ne pouvons pas le mesurer.
Le champ « organisme-environnement » est donc intime dans la relation patient-thérapeute, social dans les inter-relations dont il est le théâtre, et ceci est sans limites. On fait avec ce qui est là en conscience ou amené à la conscience par la suggestion du thérapeute, ressenti et vécu par le patient, le thérapeute et dans le champ de la relation patient-thérapeute.
Passeur de transformation personnelle
L’approche du Gestalt-thérapeute est donc aussi à la frontière du changement individuel et social. Je prends conscience que, plus l’alliance thérapeutique se vit et plus je la cultive, et plus j’observe et ressens à la « frontière-contact ».
Le patient et moi lâchons alors une forme de contrôle, de retenue, pour laisser place à un « ajustement créateur » plus libre et choisi, mis en conscience ensemble et donc non subi. Un espace co-créé s’ouvre, une danse qui commence à deux et peut s’étendre bien au-delà, comme une respiration nouvelle.
L’idée de la reconquête par chacun de son pouvoir d’être plein et entier dans sa vie, dans la vie, de son pouvoir en termes de « force de vie », peut alors prendre toute sa place. Il devient un socle de transformation personnelle dont j’ai la conviction qu’elle influera sur l’être au monde de la personne, et débouchera donc sur une transformation sociale. L’intime et le social ne font plus qu’un, avec la personne et ses interactions, avec l’environnement au cœur.
Aujourd’hui, en tant que thérapeute, je me sens une âme de « passeur ». Pourquoi ? Car j’accompagne mes patients dans ce passage de vie, souvent délicat, qui les a amenés à pousser la porte de mon cabinet. Je n’ai aucun pouvoir sur eux si ce n’est de les aider, le plus authentiquement possible, à se (ré)approprier leur pouvoir d’être, voire d’agir, dans leur vie. Et nous « co-errons » dans cette expérience ensemble !
Quelques ouvrages et articles dont je me suis inspiré pour cet écrit, et pour aller plus loin :
- Jean-Marie Delacroix :
- La Troisième Histoire - Patient-psychothérapeute : fonds et formes du processus relationnel
- La pleine conscience en psychothérapie - Au cœur de la relation patient-psychothérapeute
- Chantal Masquelier : Comprendre Et Pratiquer La Gestalt-Thérapie - Une Démarche Stimulant La Liberté De L'être Et Sa Créativité
- Jacques Blaize : Ne plus savoir, Phénoménologie et éthique de la psychothérapie
- Jean-Philippe Magnen : Cahiers de la Gestalt-thérapie, “Cohérence Co-Errances” - « Errance » entre l’intime et le social, entre le psy et le politique